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Etat des lieux des Think Tanks en France
2 décembre 2005

Entretien avec Stephen Boucher par Stephen Bunard

Entretien

"Think tanks" : l’émergence timide des "boîtes à idées"

Par Stephen Bunard

« Réservoirs à penser », « boîtes à idées », « laboratoires politiques » ou « groupes de réflexion », les « think tanks » européens, « prêts-à-penser » des décideurs, sont encore élitistes et moins influents que leurs modèles américains.

Stephen Boucher, auteur pour l’association Notre Europe de l’étude : « L’Europe et ses Think Tanks, un potentiel inaccompli ». Il explique les critères d’appréciation de ces "réservoirs".

Franco-américain, Stephen Boucher est actuellement consultant en matière de politiques énergétiques, après avoir été conseiller pour les affaires européennes et internationales auprès de la vice-première ministre et ministre fédérale belge de la mobilité. Il est titulaire d’un Master in Public Administration de Harvard, anciennement maître de conférence sur le lobbying en Europe à l’Institut d’Études Politiques de Paris.

"La transposition du modèle américain en Europe est difficile."

Quels sont les grands enseignements à tirer de cette étude ? 

D’abord, nous avons été surpris par le nombre de think tanks et de chercheurs qui s’occupent de ces questions là. On a recensé en Europe environ 3.000 chercheurs dans 149 instituts, des centres indépendants de recherche, qui traitent de près ou de loin de questions européennes. Sans forcément chercher à inventorier ou à labelliser, mais en utilisant un certain nombre de critères ; outre l’importance de ce nombre, ce qui est encore plus surprenant, c’est de voir à quel point ils sont éparpillés au sein de l’Union européenne, avec un petit groupe à Bruxelles et une majorité installée dans les capitales des États membres. Ces « think tanks » s’adressent essentiellement aux audiences politiques locales et effectuent relativement peu de travail en commun.

Qu’est-ce qui distingue les « think tanks » des lobbies ? 

On a essayé de définir des critères qui permettent de les différencier d’autres groupes, des lobbies par exemple. Ce qui fait le distinguo, pour les think tanks, c’est la production de solutions de politiques publiques, cela implique qu’ils soient majoritairement axés sur ces questions, qu’ils aient des chercheurs en interne, qu’ils essaient d’avoir une certaine indépendance, même si ce critère là est difficile à mesurer, et qu’ils essaient de communiquer les résultats de leur recherche, qu’ils essaient de les faire passer dans le monde politique ; c’est vraiment ce qui va les distinguer des groupes académiques. Effectivement, il y a des lobbies qui ont une capacité de réflexion politique et qui essaient de faire ce travail, mais ce n’est pas leur but principal.

Quand on emploie le vocable « think tank », on se tourne d’emblée vers les Anglo-saxons, quelle est la spécificité des Européens ? 

Les « think tanks » sont une réalité davantage développée dans le monde politique anglo-américain, mais ne sont pas une spécificité des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. Le premier élément, c’est que les « think tanks » européens sont beaucoup moins impliqués dans le système de décision politique que les Américains. Ces derniers font partie intégrante du système de réflexion politique, sont reconnus comme tels, ont de l’influence et un impact médiatique, et aussi naturellement des budgets et des personnels plus importants. Quand une majorité politique change, d’ailleurs, beaucoup des membres d’une administration vont puiser et se ressourcer dans ces « think tanks ». Les Européens sont aussi plus orientés à gauche, avec une perspective plus prospective, à long terme, plus académique, tandis qu’Outre-Atlantique, les « think tanks » tirent davantage vers le centre et la droite, et sont orientés vers l’action, ils fournissent par exemple des conseils directement au Congrès et sont très visibles dans les médias.

En Europe, quels sont les moyens dont disposent les « think tanks » et un pays s’impose-t-il comme modèle ? 

Il semble d’abord que les financements soient plutôt publics, de grosses sociétés financent également, et puis il y a le financement propre, par l’organisation de colloques et les publications ; c’est difficile de transposer le modèle américain en Europe, compte tenu aux Etats-Unis de la philanthropie privée et de la puissance des fondations ; partout le financement est un souci pour les « think tanks » européens. C’est la Grande-Bretagne pourtant qui s’en sort le mieux. Pour être efficace, un « think tank » doit gérer plusieurs tensions, son financement de différentes sources, tout en conservant son indépendance intellectuelle et une certaine crédibilité qui vont conditionner son impact ; il va à la fois réfléchir et pondre des idées complexes, et encore en même temps, chercher à avoir un impact médiatique suffisant. Sur différents plans, notamment avoir une capacité d’innovation et d’influence auprès des décideurs, les Anglais s’imposent sur les autres pays européens.

Sur quels sujets travaillent le plus efficacement les « think tanks » européens et tout ce « jus de crâne » est-il suivi d’effets ? 

Effectivement c’est l’un des regrets de cette étude, n’avoir pas pu aller jusque dans l’examen et la mise en œuvre des idées de ces organisations. Mais, qui travaille sur quoi, nous avons pu le faire. Il y a ainsi une redondance importante dans le travail de ces groupes en Europe, la démocratie européenne, la gouvernance, le droit constitutionnel, l’économie au sens large, les affaires étrangères... beaucoup de sujets, c’est paradoxal, où le Parlement européen dispose de peu de compétences, celles-ci étant plutôt du coté des États membres ; alors que maints sujets, tels les transports, l’environnement ou l’énergie, préoccupent peu les « think tanks ». Quant à savoir quelles idées marquent... Le risque sur lequel tout le monde s’accorde, c’est qu’ils observent tous et qu’ils répètent tous les mêmes choses !

Sont-ils armés pour réduire la « fracture européenne » entre les peuples et les élites ? (1)

Si l’on a donné comme titre à notre étude : « think tanks, un potentiel inaccompli », c’est qu’ils ont réellement un potentiel à faire émerger des idées de la société civile, à faire passer aussi des notions complexes auprès d’un public plus large, et certainement ils en ont l’ambition. La question du « déficit démocratique » préside à beaucoup de leurs réflexions, mais à ce stade, surtout pour des questions de moyens, ils n’ont pas cette capacité là. Et aussi pour des raisons de culture, pour parler simple, ils restent assez élitistes, ils travaillent entre experts des questions européennes et s’adressent à d’autres experts des questions européennes. Donc il y a un réel décalage entre l’ambition de contribuer à combler le « déficit démocratique » et la capacité à pouvoir y faire quoi que ce soit. Et cela nous a été confirmé par des décideurs, des gens de la Commission européenne et des gouvernements, qui nous disent : ’oui, potentiellement, les « think tanks » pourraient jouer un rôle’, mais aujourd’hui ils renforcent plutôt l’impression d’une Europe d’experts, plutôt qu’il ne la corrigent.

Article paru le 20 janvier 2005 sur http://www.europeplusnet.com

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